Cette perturbation tourbillonnaire est née en dehors de la zone de convergence intertropicale (une "perturbation hybride" comme les appelle J. Le Borgne dans son ouvrage Les Cyclones, PUF, 1986, Coll. "Que Sais-je ?"), à partir d'une perturbation de basses couches préexitante ; elle est issue de la rencontre du facteur polaire et du facteur tropical, et coïncide avec une "poussée d'air" (pour reprendre un terme de H. Riehl) plus frais en basses couches dans le champ des alizés. L'arrivée d'air plus frais a donné l'impulsion au mouvement tourbillonnaire (= impulsion d'origine dynamique et non d'origine thermique). Bénéficiant d'une alimentation suffisante en énergie, la perturbation s'est progressivement transformée et renforcée tout en acquérant une vorticité plus grande au fur et à mesure qu'elle s'est éloignée de l'équateur.
Même si la durée de vie d'un tel phénomène est assez courte, il s'agit d'un cas intéressant à étudier et riche d'enseignements pour mieux appréhender les mécanismes de formation d'une perturbation cyclonique...
Cyclone tropical au large des côtes brésiliennes. Image prise par le satellite Terra le 26 mars 2004 à 13h10 UTC. © Nasa - http://rapidfire.sci.gsfc.nasa.gov |
Je signale aussi que ce n'est pas la première fois qu'une dépression tropicale tourbillonnaire se forme dans l'Atlantique Sud, mais c'est la première fois qu'une telle dépression atteint le stade de cyclone tropical, tout du moins la première fois que l'on peut observer de façon formelle un tel phénomène. Déjà le 19/01/2004, une dépression tourbillonnaire s'était formée dans l'Atlantique Sud, au NE du Brésil mais n'avait pas atteint le stade de tempête tropicale. Toutefois, d'autres événements de ce type ont très bien pu se produire dans l'histoire, mais sont passés inaperçus par manque de relevés météos et en l'absence de l'imagerie satellitaire (même si par certains récits de marins de l'Atlantique Sud, on pouvait déjà soupçonner l'existence de très fortes tempêtes de type cyclonique dans les eaux tropicales de l'Atlantique Sud au cours des siècles passés).
L'US National Hurricane Center avait déjà signalé qu'une tempête tropicale s'était formée près des côtes du Congo en avril 1991. D'une durée de vie de 5 jours, elle s'était comblée progressivement en se déplaçant vers le SW de l'Atlantique Sud (Cf. Mc Adie C.J. et Rappaport E.N., Diagnostic Report of the National Hurricane Center, vol. 4, n° 1, NOAA, National Center Hurricane Center, Coral Gables, FL, 45 p.). Mais aucune étude véritable et systématique n'a été entreprise depuis pour analyser les conditions (thermiques et dynamiques) qui permettent la formation d'un tel phénomène...
On ne peut se contenter d'une approche purement "océanique" (en ne prenant en compte que la température de la surface de l'océan) pour expliquer la naissance d'un cyclone tropical dans l'Atlantique Sud (d'autant plus que dans le cas du cyclone qui se déplace actuellement en direction des côtes brésiliennes, on n'a observé aucune anomalie thermique particulière des eaux de surface les jours précédant sa formation). Pour une meilleure appréhension des conditions nécessaires à la cyclogenèse, le concept aérologique apparaît plus judicieux, dans la mesure où il prend en compte les caractères thermiques, hygrométriques et structuraux des flux de la troposphère. De plus, il est nécessaire d'accorder une attention particulière à l'impulsion donnée par l'arrivée d'un air plus frais dans les basses couches (qui se traduit d'ailleurs par un renforcement des alizés les jours qui précèdent) au mouvement tourbillonnaire de la dépression... Tout cela pour dire qu'il est un peu trop "simpliste" d'imputer d'emblée au "réchauffement global" la formation d'un tel phénomène, aussi exceptionnel soit-il !