Le nuage de poussières a atteint les jours suivants l’Amérique centrale** et le sud des États-Unis, alors qu’une nouvelle « pulsation sableuse » était observée au large des côtes africaines le mardi 23 juin avant d’atteindre l’arc antillais 3 jours plus tard.
La région caribéenne est touchée périodiquement entre les mois d’avril et octobre par des épisodes de « brume de sable » constituée de particules fines (≤ 10 µm) en provenance du Sahara et transportées par les vents dominants (alizés), qui conduisent fréquemment à des alertes à la pollution atmosphérique. Ces épisodes se répètent plusieurs fois dans l’année et peuvent durer plusieurs jours consécutifs. Les recherches menées à la Barbade par l’Université de Miami depuis la fin des années 1960 ont d’ailleurs mis en évidence une tendance à l’augmentation du flux de poussières au cours des 30-40 dernières années, coïncidant avec une forte péjoration pluviométrique en Afrique du Nord. Plusieurs études ont également démontré que la variabilité de la charge de poussières minérales pendant la saison estivale était significativement corrélée avec des indices climatiques comme l’oscillation nord-atlantique et que les brumes étaient plus importantes les années de grande sècheresse au Sahel.
Certaines d’entre elles, comme celle de Doherty, Riemer & Hameed (2014), ont montré aussi qu’il existe une corrélation significative entre la position latitudinale de la zone de convergence intertropicale (ITCZ en anglais) sur l’ouest de l’Afrique et la quantité de poussières minérales relevée à la Barbade : un déplacement vers le sud de la zone de convergence est associé à la fois à une augmentation de l’écoulement de l’air dans les basses couches et près du sol (renforcement de la circulation d’alizés) et une diminution des précipitations dans les régions sources de poussières du sud du Sahara, du Sahel et du lac Tchad, avec comme conséquence une plus grande sécheresse des sols et de la végétation qui accroît encore le potentiel d’émission de poussières. À titre d’illustration, on peut constater sur le graphique ci-contre que l’ITCZ sur Afrique de l’Ouest est positionnée plus bas en latitude que la normale depuis le mois d’avril 2020.
En cette fin juin 2020, la « brume de sable » dans la région caribéenne est particulièrement opaque en raison d’une forte concentration de particules fines dans l’atmosphère. À Porto Rico, les concentrations de particules fines (PM10) ont atteint entre 350 et 380 ug/m3 le 22 juin au matin, des valeurs exceptionnellement élevées qui ont pour conséquence une dégradation significative de la qualité de l’air et une réduction de la visibilité (cf. cette vidéo tournée à San Juan le 22 juin : https://twitter.com/i/status/1275165976980529153). Selon le Dr Olga Mayol (Université de Porto Rico), il s’agit d’un événement historique à Porto Rico et inédit depuis 50 ou 60 ans, même si des épisodes de « brume de sable » de grande ampleur se sont déjà produits ces dernières années dans les Caraïbes.
L’exposition aux poussières sahariennes et aux micro-organismes qui leur sont associés a également été identifiée comme la source d’un certain nombre de maladies infectieuses et respiratoires chez l’homme et les animaux. Une étude menée dans les îles Vierges américaines a montré que les agents bactériens et viraux cultivables étaient 3 fois plus nombreux lors des pics de poussières africaines. Il est donc probable que les poussières sahariennes transportent un grand nombre d’agents potentiellement pathogènes. Par ailleurs, si ces particules sableuses contribuent à la fertilisation des sols en Amazonie, elles sont aussi impliquées dans l’éclosion de diverses maladies environnementales comme celle causée par le champignon Aspergillus sydowii qui a provoqué la mort de nombreux récifs coralliens dans la mer des Caraïbes.
La couche d’air saharien (CAS) et la dynamique des lithométéores dans l’atmosphère est un sujet d’étude très vivant et passionnant. Les recherches actuelles indiquent que les particules de poussières riches en fer, souvent présentes dans la CAS, augmentent l’albédo et réfléchissent les radiations solaires, ce qui a pour conséquence un refroidissement temporaire dans les basses couches de l’atmosphère. Ces particules réduisent aussi la quantité d’énergie solaire arrivant jusqu’à l’océan et limitent ainsi le réchauffement des eaux océaniques. D’autres recherches ont montré que la CAS réduit le développement et l’intensification des cyclones tropicaux en asséchant la masse d’air et en introduisant un fort cisaillement des vents avec l’altitude qui limite les mouvements ascendants.
Les particules en suspension dans l’air ont aussi tendance à favoriser la condensation en servant de noyaux de condensation. Les quantités de précipitations sont cependant peu influencées, car les gouttes formées sont trop petites pour tomber et n’ont pas tendance à facilement fusionner (coalescer). Ces gouttelettes s’évaporent donc plus facilement quand elles bougent latéralement dans de l’air plus sec ou quand l’air sec se mélange avec l’air sus-jacent à la CAS. L’épisode actuel de « brume de sable » vient donc aggraver encore la sécheresse que l’on observe depuis plusieurs mois dans la région des Caraïbes : depuis le début de l’année, il n’a quasiment pas plu à Aruba, Bonaire, Curaçao, ainsi qu’en Jamaïque, à Porto Rico et en République dominicaine !
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* Pour suivre la dynamique de la couche d’air saharien au-dessus de l’Atlantique nord : http://tropic.ssec.wisc.edu/real-time/sal/g16split/movies/goes16split.html
** Le gigantesque nuage de sable a atteint le Costa Rica le 26 juin 2020, comme on peut le voir sur la photo ci‑dessous prise dans la vallée de Paraiso depuis Cot dans le canton d’Oreamuno (province de Cartago) :
Cliché Erick Garita |
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