En quelques jours seulement, l’Europe de l’Ouest est passée sans transition d’un temps franchement estival et anormalement chaud pour un mois de septembre à un temps anormalement froid et maussade à la fin du mois de septembre 2020. En provenance du Groenland, où la température a chuté à -48,1°C le 25 septembre au matin à la station américaine de GEO-Summit [Summit Camp] (l’une des plus basses températures mesurées au Groenland pour un mois de septembre*), de l’air particulièrement froid et humide a déboulé par le nord‑ouest sur l’Europe occidentale à partir du 25 septembre 2020, mettant fin brutalement aux conditions météorologiques estivales qui régnaient encore les jours précédents.
À titre d’illustration, la France a connu des températures extrêmement élevées du 11 au 20 septembre 2020, avec un pic de chaleur les 14 et 15 septembre et de nombreux records mensuels de chaleur (plus 230 records le 14 et plus de 70 le 15). Le pays est passé en 13 jours seulement de son après-midi de septembre le plus chaud jamais observé depuis 1947 avec un indicateur national de température maximale de 33,4°C le 14 septembre (soit +10,6°C par rapport à la normale quotidienne 1981-2010, devant les 32,6°C du 04/09/1949) à son 3e après-midi de septembre le plus froid avec un indicateur national de température maximale de 14,3°C le 27 septembre (soit -6,6°C par rapport à la normale), derrière les 14,0°C du 30/09/1974 et 14,2°C du 27/09/2007 ! Plusieurs stations ont d’ailleurs enregistré à quelques jours d’intervalle à la fois leur plus haute et leur plus basse températures maximales pour un mois de septembre. Parmi les stations les plus anciennes, ce fut le cas notamment de Nancy-Essey (début des mesures en 1927) avec seulement 9,5°C le 26 septembre au plus chaud de la journée (contre 9,6°C le 23/09/1931), 11 jours seulement après avoir établi un nouveau record mensuel de chaleur le 15 septembre avec 34,4°C (contre 33,7°C le 19/09/1947) ; mais également de Bourges (mesures depuis 1945) avec seulement 11,1°C le 27 septembre au plus chaud de la journée (contre 11,7°C le 22/09/1996), 13 jours seulement après un nouveau record mensuel de chaleur établi le 14 septembre avec 35,7°C (contre 35,1°C le 16/09/1961).© MétéoSuisse |
Même constat en Suisse où la chute des températures a été également particulièrement brutale dans tout le
pays à partir du 25 septembre, comme on peut le voir sur le tableau
ci-contre des anomalies de température à l’échelle journalière calculées
par Météo Suisse pour plusieurs stations dans différentes régions. En une dizaine de jours seulement, le pays est passé de températures anormalement élevées — notamment en montagne — (+6 à +9°C au-dessus de la normale) les 14 et 15 septembre avec un isotherme 0°C situé vers 4760 m le 14 et un géopotentiel 500 hPa** à 5945 m (2e valeur la plus élevée mesurée en Suisse pour un mois de septembre depuis 1954, derrière les 5964,5 m du 13 septembre 2019 !), à des températures anormalement basses à partir du 25 septembre (-6 à -9°C en dessous de la normale, jusqu’à -10,6°C le 26 au Jungfraujoch [3580 m]).
Une fraîcheur remarquable dans toute l’Europe de l’Ouest, localement exceptionnelle
Après une 2e décade de septembre la plus chaude depuis au moins 1947, les températures sont passées très nettement sous les normales en France à partir du 25 septembre. Plusieurs stations disposant d’une série de mesures de plus de 50 ans ont enregistré dès le 26 septembre leur plus basse température maximale pour un mois de septembre, comme Cognac avec 13,5°C (précédent record depuis 1945 : 13,6°C le 29/09/1988), Phalsbourg avec 7,6°C (précédent record depuis 1946 : 8,5°C le 28/09/1993), Pauillac avec 12,3°C (précédent record depuis 1962 : 13,0°C le 22/09/1979), ou encore Nancy-Ochey avec 8,4°C (précédent record depuis 1966 : 9,0°C le 29/09/1974).
À l’échelle nationale, l’après-midi du 27 septembre se place au 3e rang des après-midi les plus froids en France pour un mois de septembre avec une température moyenne de 14,3°C, derrière les 14,0°C du 30/09/1974 et 14,2°C du 27/09/2007. De nombreuses autres stations ont également enregistré ce jour-là leur plus basse température maximale pour un mois de septembre ; parmi les stations disposant de longues séries de mesures, on peut retenir les suivantes :
- Bastia : 15,7°C (précédent record depuis 1945 : 16,6°C le 29/09/1955) ;
- Bourges : 11,1°C (précédent record depuis 1945 : 11,7°C le 22/09/1996) ;
- Gourdon : 10,1°C (précédent record depuis 1961 : 10,9°C le 02/09/1965) ;
- Mâcon : 9,9°C (précédent record depuis 1943 : 10,5°C le 23/09/1931) ;
- Dijon : 9,7°C (précédent record depuis 1921 : 9,8°C le 22/09/1931) ;
- Lyon St-Exupéry : 9,7°C (précédent record depuis 1975 : 10,0°C le 27/09/2007) ;
- Limoges-Bellegarde : 8,9°C (précédent record depuis 1973 : 9,5°C le 24/09/2002) ;
- Grenoble-St-Geoirs : 8,8°C (précédent record depuis 1941 : 9,4°C le 23/09/1979) ;
- Ambérieu : 8,8°C (précédent record depuis 1941 : 9,7°C le 30/09/1988) ;
- Lons-le-Saunier : 8,6°C (précédent record depuis 1972 : 9,8°C le 24/09/2002).
À noter également que la température n’a pas excédé 10,3°C le 27 septembre au plus chaud de la journée à Lyon‑Bron, soit la 2e plus basse température maximale pour un mois de septembre depuis le début des relevés à la station en 1920, derrière les 9,6°C du 28/09/1939 ! Il en est de même à Besançon avec seulement 8,7°C dans l’après-midi du 27 septembre, soit la plus basse température maximale pour un mois de septembre depuis 1902 (8,6°C le 29/09/1902), juste derrière le record de 7,6°C remontant au 28/09/1885 ! Une fraîcheur inhabituelle régnait encore dans le sud de la France le 29 septembre avec seulement 6,3°C au matin à l’aéroport de Béziers-Vias (record mensuel de froid depuis 1994) et 4,0°C à Béziers-Courtade (plus basse température à la station en septembre depuis les 3,9°C du 21/09/1977).
Plusieurs stations ont également enregistré un nouveau record mensuel de froid le 27 septembre, comme Barcelonnette avec une température minimale de -5,4°C (précédent record depuis 1927 : -4,3°C le 20/09/2017), Tignes avec -7,6°C (contre -6,3°C le 18/09/2001), Porquerolles avec 9,7°C (contre 10,0°C le 21/09/1977), ou encore l’île du Levant avec 9,9°C (contre 10,6°C le 29/09/1974).
En suisse, les températures moyennes journalières ont atteint des valeurs particulièrement basses et rarement observées à cette époque de l’année. La station de Nyon / Changins, par exemple, a mesuré sa plus basse température maximale pour un mois de septembre depuis le début des mesures en 1965 avec seulement 8,1°C le 27 septembre au plus chaud de la journée, juste 10 jours après avoir connu sa première nuit tropicale en septembre (température minimale de 20,1°C le 17 septembre).
Des températures particulièrement basses pour une fin septembre ont été relevées en montagne : jusqu’à -15,9°C le 26 septembre à la station du Jungfraujoch (3580 m) qui enregistre à cette occasion la 5e valeur la plus basse en septembre depuis 1959 et la plus basse depuis le 30/09/1974 (-16,6°C).
L’arrivée de cet air froid par le nord-ouest s’est également traduit par une chute des températures du 24 au 27 septembre dans les îles Britanniques (jusqu’à -5,0°C le 24 à Altnaharra en Écosse), notamment en Irlande du Nord où un nouveau record mensuel national de froid a été enregistré le 27 septembre avec -3,7°C à Katesbridge (précédent record : -3,6°C le 29/09/2018 à Katesbridge) !
Même constat en Irlande (Eire) où la température est descendue jusqu’à -2,1°C le 26 septembre à Markree Castle (à plus de 1°C encore du record mensuel national de froid : -3,5°C le 08/09/1972 à Offaly) et certaines stations ont enregistré leur plus basse température minimale pour un mois de septembre : c’est le cas notamment à Mullingar avec -1,7°C le 27 septembre (précédent record mensuel de froid depuis 1944 : -0,1°C le 18/09/1952), ou encore à l’aéroport de Casement avec -0,7°C le même jour (précédent record mensuel de froid depuis 1958 : -0,3°C le 08/09/1972).
Des chutes de neige abondantes et exceptionnellement précoces en montagne
Cet important afflux d’air polaire a engendré au contact des principaux reliefs des chutes de neige exceptionnelles par leur précocité et leur abondance surtout en moyenne montagne, généralement au-dessus de 1300 m d’altitude, mais également à plus basse altitude localement. Les chutes de neige les plus abondantes en France se sont produites sur les Pyrénées et les Alpes du Nord, mais il a également neigé quelques centimètres sur les plus hauts sommets des Vosges et du Jura, dans le Massif Central (au-dessus de 1300 m), y compris sur le relief corse le 27 septembre à partir de 1400 m d’altitude. Pour la première fois en septembre depuis les années 1930, il a même légèrement neigé le 27 septembre sur le Bruncu Spina (1830 m), un des deux sommets principaux du massif de Gennargentu dans la partie centre-orientale de la Sardaigne !
Dans les Pyrénées, il est tombé 30 à plus de 40 cm au-dessus de 2000 m d’altitude les 25-26 septembre, au moins 30 cm à 1800 m et une quinzaine de cm à 1500 m. Il s’agit des chutes de neige les plus abondantes dans les Pyrénées pour un mois de septembre depuis plusieurs décennies et avant la mi-octobre depuis 1998.
Neige à Chamrousse (Savoie) le 26/09/2020. © Photos de Jérôme Narcy pour meteo-chamrousse.com |
Au col du Glandon (~1900 m, Savoie) où il n’y avait pas eu autant de neige en septembre depuis 1974, 7000 moutons et leur berger sont restés bloqués par 50 cm de neige du 25 au 27 septembre, ce qui a nécessité une opération de secours et d’acheminement par hélicoptère de nourriture pour le troupeau.
© SLF |
Dans les Alpes autrichiennes, la neige a même fait son apparition dans certaines vallées à partir de 550 m d’altitude avec 2 cm de neige fraîche relevés le 26 septembre à Bischofshofen, ce qui est particulièrement rare à cette altitude pour cette époque de l’année. Selon le ZAMG, il n’a été mesuré de la neige en dessous de 600 m d’altitude qu’à 3 autres reprises en septembre depuis le début des observations dans le pays : 6 cm le 23/09/1931 à Kufstein, 5 cm le 22/09/1979 à Feldkirch et 5 cm le 22/09/1979 à Bürs.
La neige a fait également son apparition dans les Alpes italiennes, mais également en Slovénie où l’on a relevé jusqu’à 60 cm de neige au sol le 28 septembre (dès 20h) à Kredarica (2514 m) : une telle hauteur de neige n’a été atteinte à la station slovène qu’à 4 autres reprises en septembre depuis le début des mesures en 1954, en 2017 (80 cm), 2002 (65 cm), 1989 (75 cm) et 1988 (95 cm).Si un certain nombre d’épisodes de neige précoce se sont déjà produits par le passé au mois de septembre (dont le plus récent du 14 au 21 septembre 2017), il faut remonter à septembre 1974 pour trouver des chutes de neige aussi abondantes et à une altitude moyenne aussi basse dans les Alpes du Nord, associées à des conditions synoptiques comparables qui avaient également provoqué du 23 au 26 septembre 1974 un changement radical du temps. En Suisse par exemple, on avait relevé 102 cm de neige au sol le 25 septembre 1974 à La Chaux-de-Fonds, 147 cm à Montana et jusqu’à 207 cm à Leysin ! Cette arrivée précoce de l’hiver en 1974 avait d’ailleurs été suivie par le mois d’octobre le plus froid en Suisse depuis le début des mesures en 1864, à égalité avec octobre 1905…
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* La plus basse température pour un mois de septembre au Groenland est de -55,5°C et a été enregistrée par la station automatique de Barber (3170 m) le 22 septembre 1994.
** C’est-à-dire l’altitude à laquelle la pression atteint 500 hPa.
*** La valeur horaire relevée à 7h du matin était de -21,9°C ; la température est finalement descendue à -22,0°C le 26 septembre à la Capanna Margherita (et n’a pas excédé -16,6°C au cours de la journée), et probablement plus bas encore au col Major (4760 m) dont la station météo ne fonctionne plus malheureusement depuis le printemps dernier.
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